Portfolio : Rue de la Muette
Que croise-t-on Rue de la Muette ? Un géant au crâne lisse, souvent en tenue de cirque, à la voix rauque dont il affuble parfois un porte-voix, une musique foraine qui déambule, un rock-blues qui oscille entre crasseux et déjanté, avec sa part de mélancolie, d’amour, des gens qui se battent pour leur idéal, des routes, des voyages, des contes à insomnier debout qui cachent mal leur part de tragique. Rue de la Muette, c’est Patrick Ochs, un type unique en tunique, un grand de son art. Chantal Bou-Hanna l’a immortalisé sur des clichés déjà d’anthologie…
Ce portfolio est le dernier billet à vous être proposé dans cette habituelle et familière présentation de NosEnchanteurs. Dès ce dimanche 6 mai à 20 heures, NosEnchanteurs (l’Autre Chanson) s’offrira à vous dans un autre format, un tout autre visuel.
Portfolio : les 25 ans de Chanson plus Bifluorée
Dans un billet déjà fameux de NosEnchanteurs, Faut-il achever les vieux chanteurs ?, nous parlions de nos trois amis que sont ces Pieds Nickelés de la chanson : Michel Puyau, Xavier Cherrier et Sylvain Richardot, nos fameux « Chanson plus Bifluorée ». Derechef, notre collaboratrice Chantal Bou-Hanna, fine gâchette s’il en est de la photographie pixellisée, a dégainé ses planches contacts pour vous proposer un nouveau et élégant portfolio. Rappelons que Chanson plus Bifluorée se produit actuellement sur les routes avec son spectacle anniversaire des 25 ans, ainsi que leur « pestacle » « Y a des Animaux dans nos Chansons », pour les petits de 5 à 105 ans. Il est probable que vous vous situiez dans cette tranche d’âge-là. Cette série de clichés immortalise leur quart de siècle chanté, qu’on peut aussi revivre à la lecture de NosEnchanteurs qui, décidément, est de partout.
Le site de Chanson plus Bifluorée, c’est ici.
Portfolio : Jamait à La Bouche d’air
Chantal Bou-Hanna est une habituée de ce blog où, régulièrement, elle publie ses photos (parfois même elle écrit). Pour illustrer un article comme pour s’étaler sur tout un portfolio. En voici un nouveau (et magnifique !) où nous retrouvons Yves Jamait. C’était le 28 mars dernier à La Bouche d’air, scène de musiques actuelles sur Nantes.
Francesca Solleville au turbin, à l’Européen
C’est cet ancien music-hall de presque 140 ans que Francesca Solleville a choisi pour y fêter son 80e anniversaire et la sortie de son nouveau CD. Dans cette belle architecture circulaire, une Francesca rayonnante, vêtue de noir, arrive sur scène : déjà, les applaudissements n’en finissent plus. « Faut que j’y aille ! » nous dit-elle quand le calme revient, comme pour se donner du courage. Et elle commence avec la première chanson de sa longue carrière, un texte d’Aragon : Un homme passe sous la fenêtre et chante. Coup d’envoi pour deux heures d’un plaisir inouï. Suit un très beau texte écrit pour elle par Anne Sylvestre, qui est parmi nous (Vingtième, Européen ou autre Limonaire, on la croise très souvent dans les salles parisiennes ; elle a cette grande qualité humaine de savoir écouter et applaudir les autres chanteurs), Passeuse, passerelle (« …Toujours de vous à elle / Et toujours d’elle à vous / Je me voue / Et si à son tour elle veut me rester fidèle / Passeuse passe temps / Je chanterai longtemps »).
C’est Gilbert Laffaille qui suit et lui prête sa plume pour Chanter encore. Toujours très coquette, Francesca nous dit que ça va être difficile, que Gilbert lui a fait des mesures compliquées, du 5 /4 ou que sais-je, et, avant de se lancer dans cette nouvelle chanson, paniquée elle nous dit en ébouriffant ses cheveux d’un geste familier qu’on lui connait bien : « j’espère que Gilbert Laffaille n’est pas dans la salle ». Bien sûr que si, il est là !!! On le lui dit, elle feint de ne pas entendre en scrutant le public dans l’ombre. C’est une très belle réussite soulignée par Nathalie Fortin qui fait signe à Francesca que tout s’est bien passé. Francesca de surenchérir « Ah ! Nathalie est contente », à ce moment du fond de la salle surgit la voix forte très reconnaissable de Gilbert Laffaille « Moi aussi je suis content ! » Applaudissements dans le public et visage radieux de Francesca !
Puis à travers un très beau texte de Thomas Pitiot, La promesse à Nonna, notre belle Francesca chausse sa casquette de grand-mère, de cette Nonna qu’elle est ! Francesca a éduquée sa petite fille Lola à ses propres idées politiques dès le plus jeune âge de la vie fœtale et ce petit bout de fille a fait promesse à Nonna de toujours brandir haut et fort un poing serré. Belle promesse…
Suit 200 mètres (Mexico 1968, JM Brua), chanson ô combien de fois entendue, mais ce soir on a encore l’impression de la découvrir tant Francesca l’interprète avec une conviction et une énergie fabuleuses. Tonnerre d’applaudissements ; Francesca à peine essoufflée nous chuchote « je ne vous ferai pas le 400m ». Rires complices du public.
Place à l’émotion, difficilement soutenable, Allain Leprest retrouve une fois de plus ce soir sa place par l’intermédiaire de Francesca (une chanson parmi de nombreuses, Francesca nous offre beaucoup de Leprest ce soir, dont Sarment : « il suffisait qu’on lui dise un mot, un seul pour qu’il nous écrive une chanson », nous rappelle-t-elle), une chanson dont il lui a fait cadeau en juillet de l’an dernier Des impairs pour un impair (« La langue bleuie les bras ballants / Pesant d’oubli, le cœur moins lourd / Trois p’tits tours autour d’un nœud coulant… / Priez pour les morts d’amour… ». Une émotion qui nous ramène vers ce terrible 15 août… « Allain m’a demandé de la chanter, alors je la chante » (ceci suite à des remarques de la part de certains spectateurs choqués lors de précédents spectacles, avait-elle expliqué lors d’une récente émission sur France Culture). Ainsi va la soirée, une allusion au père alcoolique dont Francesca nous confie avoir souffert. Sur scène ce texte écrit par François Morel, Papa (« Les ivrognes ça fait marrer / Quand on les voit à la télé / Tant mieux si toi ça te fait rire / Pardon moi ça me fait frémir… ») prend une dimension fabuleuse tant Francesca se l’approprie avec une sensibilité à fleur de peau et une souffrance qu’elle ne cherche pas à dissimuler.
D’autres très belles chansons (accompagnées à la contrebasse par Olivier Moret et à l’accordéon par Bertrand Lemarchand) par d’autres non moins beaux auteurs, je ne veux pas en faire un catalogue, je relate simplement des faits ou des moments qui m’ont touchée dans la soirée.
Hélas tout a une fin, l’heure tourne, plus fatiguante pour Francesca que pour son public qui ne se lasse pas, un bis, un seul ! Francesca nous annonce que la chanson suivante serait bien faite sienne par le président actuel… La France de Ferrat !!! Avec, s’il vous plaît un piano à quatre mains, à savoir celles de Nathalie Fortin et celles de Michel Precastelli. L’interprétation est époustouflante ! S’en suit une belle standing ovation, qui ne s’arrête plus. Francesca reviendra saluer trois fois puis s’échappera non pas pour un repos bien mérité mais dans le hall de ce beau théâtre pour la séance de dédicaces/discussions. Et je m’aperçois avec surprise que si son public a dans l’ensemble une moyenne d’âge un peu élevée, la relève est assurée par un autre public, beaucoup plus jeune, plutôt masculin, impression personnelle, qui se précipite pour acheter Un, deux voire trois cédés et se les faire dédicacer. Et là c’est fou de voir que cette belle Francesca aux yeux si bleus et si pétillants, qui pourrait être la Nonna de tout ce nouveau public, succombe encore avec une tendre complicité au charme non dissimulé de cette belle jeunesse conquise par cette très grande dame.
Un dernier mot pour conclure ces quelques lignes : un immense Merci Francesca, nous t’aimons. Continue à passer ta vie sur tes cordes vocales, à y funambuler, pour notre plus grand plaisir, comme te l’écrit si bien Jean-Michel Piton. Chante encore, chante encore…
L’Helvétie comme une lanterne
Si Thierry Romanens commence à se faire un nom dans l’Hexagone aussi sûrement que dans notre horizon chanson, tel n’était pas encore le cas en fin 2002, date de ce concert au Quarto d’Unieux, lors des Oreilles en pointe. Ce papier exhumé peut faire aussi écho à mes récents articles sur Brassens…
Archive. Thierry Romanens, suisse encore inédit en France, est à Sarclo ce que Dupont est à Dupond. Avec un look à la Tintin. Lumineux ! Il nous vient du pays des banques, fait le mariole, pas le branque. Il est direct, franc, jovial, gueule de Tintin picaresque et pittoresque : « Heureux comme un cochon dans la fange / Je ne suis qu’un rieur aux anges. » Ravis, en tous cas, de faire connaissance avec un petit suisse de la chanson, qui partage avec l’autre helvète qu’est Sarclo un goût consommé de l’impertinence, du caustique, de l’humour radical, que contrecarre une poésie urgente, qui se fout pas mal des rimes.
Thierry Romanens aime à reprendre Brassens, mais pas n’importe comment. Avec une verdeur et une impertinence bienvenues. Comme s’il souillait tonton Georges, l’acidifiait avec jouissance et sans économie pour mieux retrouver et son côté politiquement incorrect et son rugueux d’origine, que trop d’hommages enterrent sous de suspectes couches de vernis : cette Brave Margot rapée (ou raptée, en tous cas mise en rap) n’est pas perdue.
Reste que, s’il fait le mariole, son commerce s’étend à bien autre chose. A une sorte de blues urbain dont les mots pour le dire, à défaut d’être policés, ont le mérite d’être directs. Le spleen désamoureux teinte fortement un répertoire des plus attachants. Heureusement pour lui que « Tout m’interpelle et tout m’épate / Tout m’éberlue et tout m’étonne » toujours…
Nous ne sommes pas à une surprise près dans ce festival : Romanens ne peut qu’entrer dans le club, très ouvert, de nos désirs chanson. Il est farouchement irrésistible. Précipitez-vous là où le bougre officie, sans vous poser de questions, car elles sont trop précieuses. N’est-ce pas Thierry Romanens qui nous dit et, en dédicace, nous écrit : « À chaque solution qu’on trouve, c’est une question qu’on perd »…
Le site de Thierry Romanens ; son myspace aussi.
Tachan, sans se retourner…
Ne se sentant pas le destin de Molière, Henri Tachan a raccroché les gants depuis trois ans : plus jamais il ne postillonnera en scène, éructant comme ce lion qu’il y fut. Chantal Bou-Hanna, une lectrice de NosEnchanteurs, nous fait parvenir cet article qu’elle a rédigé, au soir des adieux de Tachan, le lundi 2 décembre 2008 à Besançon.
Le Petit Kursaal, à Besançon. C’est présentation de la saison Chanson. Et concert gratuit. Pas assez de places ce soir, un monde fou. Que se passe-t’il donc pour attirer ainsi les foules bisontines ? De belles pointures : Messieurs Henri Tachan et Yves Jamait. Et Sarcloret et d’autres encore.
Coulisses. Parrain de la saison, Jamait est arrivé depuis pas mal de temps déjà. Casquette bien rivée et cigarette au bec, il répète, discute, rigole.
Manteau noir, col relevé, un p’tit bonhomme finit par arriver, courbé, l’air fatigué… Aucune ressemblance, ou si peu, avec ce qu’il est en scène. Lui, c’est Tachan ! Thérèse, l’une des organisatrices, l’accueille : ils s’embrassent chaleureusement. Henri tire de son paquet une cigarette, la seconde de la journée dit-il. Mais où fumer ici ? « Théâtre non fumeur » c’est mis sur l’écriteau. Dans les loges ? Pas possible non plus. Ils s’en vont. Thérèse me dit « Viens avec nous », avec un clin d’œil amical et complice : elle sait que je veux à tout prix prendre des photos d’Henri. Pour fumer ce sera le réfectoire. Et Tachan est ok pour les photos ! Je jubile !
Une question me brûle les lèvres. Si je ne la pose pas tout de suite, l’occasion ne se reproduira plus.
– « Vous arrêtez les concerts ? »
– « Oui, c’est terminé ! »
– « Plus jamais ? Mais, ce soir, vous allez bien faire une chanson ou deux ? » Je restais pleine d’espoir.
– « Non, quand je dis non, c’est non ; vous aurez le DVD »
– « Mais c’est pas pareil. Sur scène, en chair et en os, c’est autre chose… »
– « Ah ! non, je n’ai pas envie de mourir sur scène »
Et la discussion s’arrête là. Tachan sur scène c’est définitivement fini ! Qu’on se le dise !
Se déroulent ensuite, dans la salle comble du Petit Kursaal, le visionnage de son DVD réalisé l’an dernier et ses « adieux à la scène » officiels :
Tachan, chemise orange, gros pull bordeaux, manteau noir, est au premier rang, à l’extrémité de la rangée. C’est drôle, il est dans la salle, mais pas du bon côté, pas de son côté : il nous a rejoint et est devenu spectateur ! Tachan dans le public, dans Son public ! Il se regarde. Les z’hommes, Le chat de Micky, L’amour et l’amitié, Un piano, La pipe à Pépé… Et le public de ce soir chante, applaudit en même temps que le public du DVD. Je suis à deux rangs derrière lui, un peu décalée, et l’observe. Au lieu de regarder l’écran, je regarde Henri. Qui chante toutes ses chansons, tout doucement dans l’obscurité, incognito… Et moi avec cette envie de lui crier « Henri, vas-y chante pour nous, en vrai, une dernière fois ! » La pudeur est là, qui m’en empêche…
Etrange situation vraiment, Henri est avec nous dans la salle alors qu’on l’applaudit en cette « mis en boîte », sorte d’hommage au Tachan toujours vivant mais perdu pour la scène. Après la projection, la lumière se rallume. Affalé dans son fauteuil, on ne voit plus de Tachan que le haut de son crâne un peu nu qui dépasse du siège. Il se lève, lentement, au ralenti. Il ne veut pas monter sur scène, non, et reste devant nous, prend le micro qu’on lui tend, et nous explique que c’est fini ! De mémoire, il a dit : « Ça fait quarante ans que je chante, Brel avait dit une fois que même s’il lisait le bottin sur scène, son public l’applaudirait. Alors il a décidé d’arrêter. Moi j’avais dit que quand je m’ennuierai sur scène – je ne m’ennuie pas avec vous, non pas avec vous – j’arrêterais. C’est arrivé, alors j’arrête. Place aux jeunes. J’ai fait ce DVD, ça laisse une trace aux miens, à ma femme, à mes enfants, à ceux que j’aime, etc. » L’émotion est à son comble, le silence absolu. Les larmes perlent qu’il est vain de retenir. Puis Tachan reprend vite son gros pull et son manteau posés en boule sur son fauteuil du premier rang. Submergé d’émotion, sans se retourner, il remonte les marches du Petit Kursaal, en franchit les deux portes battantes qui se referment derrière lui. C’en est fini.
Merci Henri pour ces quarante années de chanson, tes coups de gueule, tes coups de coeur, tes coups d’âmes. Merci de Toi.
Chantal Bou-Hanna.
Sur NosEnchanteurs, on lira aussi « Ah, Tachan ! »