Une chanson qui améliore ce monde…
« Salut à la compagnie de cette maison
Je vous souhaite une bonne année
Du bien à foison » (Malicorne)
Il nous faut améliorer ce monde, couvrir de goudron et de plumes cette finance qui ne produit plus que de la misère et de l’injustice. Et la chasser. Revenir à l’humain. Conspuer ces politiques qui ne se soucient que d’eux-mêmes, ces démagogues dont le discours fluctue et se durcit au fil des sondages d’opinion, jusqu’à épouser l’extrême. Il nous faut nous indigner et relever les manches, bâtir un autre monde, respectueux de l’Homme et de son cadre de vie, infiniment conscient de ce qu’il laissera à nos enfants.
NosEnchanteurs n’est qu’un blog de chanson. Mais une chanson qui n’est pas forcément cette aimable bluette qui coule des insipides robinets radiophoniques. Pas forcément et pas tout le temps Gavroche non plus, mais qui ne nous anesthésie pas. Qui nous élève au rang d’Hommes, pas à celui de disc-jockey. C’est cette chanson–là qui sera notre lien tout au long de cette année de tous les dangers. En avant ! (pour le grand bond en arrière ?)
François Béranger, l’interview
Archive. Longue absence déjà que celle du père François, mort en octobre 2003. Vieille nostalgie, tristesse… Béranger détestait les interviews. En voici pourtant une, réalisée pour Le Progrès le 1er novembre 1999. Par gentillesse envers moi, il s’était acquitté de cette tâche. Je me rappellerais toujours son visage qui s’est enfin illuminé dès que je lui ai parlé de Félix Leclerc…
François Béranger : « Tout le monde a chanté un jour ou l’autre pour soi ou pour les autres. C’est vrai que la chanson a des hauts et des bas, surtout quand on envisage le problème sur le plan strictement commercial. Y’a des périodes où elle marche mieux que d’autres. Et puis ça revient. Depuis quelques temps y’a un renouveau, un regain d’intérêt. De plus en plus de jeunes redécouvrent des types comme Ferré, Brassens, Brel et se rendent compte que la chanson ça mérite d’être écoutée. C’est une forme d’expression qui ne peut pas mourir. Même s’il fallait un jour la défendre clandestinement dans les caves, poursuivis par la police culturelle… »
Vous rejetez le terme de « chanson engagée » ? « Je récuse le mot, l’appellation et l’étiquette parce que je trouve que ça ne veut rien dire. Je fais des chansons parce que j’ai envie de les faire. Faut que ça sorte ! L’engagement est un truc social et politique. C’est un acte qu’on pose, qui doit être relativement discret. C’est trop facile de s’emparer d’un micro pour dire « Je suis quelqu’un d’engagé. » On peut faire des chansons signifiantes, des chansons qui protestent, qui dénoncent, mais c’est pas un engagement. C’est trop facile. Un engagement c’est un truc plus prosaïque, quotidien, au niveau de son quartier, de son boulot… Je n’ai jamais eu l’impression de faire des chansons engagées. Je fais simplement des chansons que j’ai envie de faire. Si ça plaît aux autres, tant mieux… »
Sarclo se réclame de la « branche armée de la chanson française de qualité. » Vous êtes du même bataillon ? « Si j’avais à me ranger dans une famille, ce serait plutôt dans celle de Sarclo. Mais chanson armée non ! J’ai une grande tendresse pour Woody Guthrie qui a arpenté les Etats-Unis avec sa petite guitare sur les chantiers du Président Roosevelt. Sur sa guitare, il avait écrit Cette machine est faite pour tuer les fascistes. Mais on ne tue pas les fascistes avec une guitare. Avec une kalachnikov, oui ! C’est sûr qu’une chanson bien faite ça peut faire très mal aux adversaires, mais faut pas non plus rêver… Je ne pense pas que les chansons changent le monde. »
Vous avez l’intention de faire un album sur Félix Leclerc… « Il est enregistré. Toutes les chansons sont faites, mais on va le retravailler encore un peu. Ça sort quand ? Je ne sais pas. Ça fait onze ans que Félix Leclerc est mort et que tout le monde l’a oublié. Alors faut pas se presser. Parce que c’est difficile de chanter un mec comme ça. Leclerc ça doit rester brut. Comme les chansons de Brassens. »
Vos chansons restent toutes d’une actualité brûlante… « Oui, malheureusement. Sauf certaines qui étaient trop marquées par l’actualité. Comme Magouille blues que j’avais conçu, à la manière des chansonniers, pour en tirer une nouvelle version tous les mois. Je l’ai fait deux trois fois et j’ai laissé tomber. »
C’est dommage, il y aurait matière avec les événements de ces temps-ci… « Vous savez, y’a hélas toujours matière quand on décrit la merde ! »
Le cédé 19 chansons de Félix, son 16e album, est finalement sorti en 2003, peu avant le décès de Béranger. Et je ne saurais que trop vous conseiller le coffret (3 cédés + 1 dévédé) Le vrai changement, c’est quand ? paru en 2004 chez Futur Acoustic.
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Michel Bühler, tendresse et poings serrés
Quarante ans qu’il trimballe ses chansons sans concessions à la marge d’un métier qui, au moins à son sommet, doit au mieux l’ignorer, au pire totalement le mépriser. Ce qui est bien en Bühler, c’est qu’on ne peut l’acheter : les labels diront qu’il n’a aucune valeur marchande, moi je dis qu’il est inestimable. Sans rire, certains diront aussi qu’il chante toujours le même air, la même chanson, évidemment engagée, militante, forcément chiante. Qu’il manque singulièrement de variété. Il a simplement de la constance dans sa tendresse comme dans ses colères. Dans son bon sens. Et convenons que le monde est tel que, sauf à être légume, on ne peut que réagir, question de dignité. Michel Bühler parle mieux que quiconque des gens, des petites gens, englués de fatigue et de solitude, de résignations et de pleurs, de ceux sur lesquels les « bienfaits » de la société sont tombés dessus comme vérole sur le bas-clergé. Bühler sait trouver les mots pour nous dire tout ça, comme jadis son collègue et ami François Béranger nous chantait Le Vieux ou Département 26… Pareilles émotions, pareils poings serrés. Si je me tourne vers Béranger, c’est sans doute parce que Bühler vient de sortir un disque en public, où il nous semble faire bilan intermédiaire, coup d’œil dans le rétro avant d’aller plus loin, de guerroyer avec d’autres moulins, Don Quichotte d’un pays trop sage, trop propre, trop libéral, trop tenté, comme son voisin français, par de vieux démons d’exclusion. D’Helvétiquement vôtre (1969) à Café arabe (2008), ce live-là fait sinon anthologie au moins survol. Il fait du bien. Quarante ans que notre Suisse observe le monde d’en haut de sa montagne, de ses alpages, comme le ferait un indien, et tente, de temps à autres, de percer l’ahurissant silence : « Wallah ! Je dis la vérité / Ici le temps s’est arrêté ». A consommer sans trop de modération.
Michel Bühler, Voyageur (enregistrement public), 2010, EPM (distr. France), Disques office (distr. Suisse). Le site de Michel Bühler.