Gaston Couté, le 28 juin 1911…
Il y a pile cent ans aujourd’hui, le 28 juin 1911, qu’au terme d’une courte vie désordonnée, tourmentée, miséreuse, mourrait le chansonnier Gaston Couté, à l’hôpital Lariboisière, à Paris. Mort d’une « vie qui lui a valu la gêne, les longues journées sans pain, quelquefois sans gîte ; tout le cortège lamentable des privations, de souffrance dont s’accompagne la bohème, cette bohème qu’on chérit, qu’on glorifie et dont on crève (1). »
Pas de date de péremption pour ce poète-paysan, cet anar du verbe : l’œuvre, à la fois intemporelle et d’une folle actualité, que nous laisse Couté ne cesse de se requinquer au fil des ans, de se diffuser parmi nous, de devenir populaire au sens de populeux, même si les vieux ch’nocs d’Académie ont définitivement fait le deuil de ce poète-là : lui leur survivra, et de loin.
« Et si le pauvre est imbécile
C’est d’avoir trop lu l’Evangile ;
Le fait est que si Jésus-Christ
Revenait, aujour d’aujord’hui,
Répéter cheu nous, dans la lande
Ousque ça sent bon la lavande
Ce que dans le temps il a dit,
Pas mal de gens dirin de lui :
« C’est un gâs qu’a perdu l’esprit !… » »
Gaston Couté, « Le gâs qu’a perdu l’esprit » (extrait)
(1) Victor Méric, in « La Guerre sociale », novembre 1911.
On lira mon article « Gaston Couté, le chardon de la chanson française » sur le site Les Influences
Hallyday inscrit aux Célébrations nationales
Après l’épisode Céline qui l’a fait revoir sa copie, le Recueil des célébrations nationales 2011 est paru. Il est disponible sur le net.
Je voulais y vérifier la scandaleuse absence de l’anar chansonnier Gaston Couté, disparu en 1911 (lire NosEnchanteurs). Il n’y est effectivement pas. L’État oublie ce génial poète qui, au demeurant, l’a conchié si souvent que de ne pas être couché dans ce guide officiel est en lui-même forme de reconnaissance. Couté n’y est donc pas. L’histoire officielle et les beaux-arts ne le retiennent pas.
Mais Hallyday si. Si, si.
L’aqueu Johnny a ceci de fascinant qu’il sait être de partout. Dans l’actualité de tous les jours c’est sûr, le matin parce qu’il va défuncter et que déjà l’État s’active pour le deuil national, le soir parce qu’il bande encore ; le lendemain pour des colères ou des amours, des contrats ahurissants, pour des procès, des chagrins en quadri sur papier glacé, des évasions fiscales, des redressements fiscaux, des amitiés politiques toutes dans le sens du libéralisme, des retrouvailles, des tournées, du théâtre, du cinéma, des émissions télé, des nouvelles collaborations, même un récent plagiat, aaah… Il est de tous les coups, il est de partout, occupant tous les champs (les chants ?) de l’espace médiatique. À-t-il lui aussi plusieurs vies pour en faire tant, l’a-t-on cloné ?
Il n’est pas tout à fait mort que l’État va (quand même) célébrer notre hallydesque Jean-Philippe Smet, l’idole des toujours jeunes : il est sur la liste des célébrations. À quel titre ? Le cinquantième anniversaire de son premier Olympia, le 21 septembre 1961. Ben voyons ! Notre président petit, tout petit, pourra célébrer son copain redressé fiscal et néanmoins contribuable suisse aux frais de la princesse. Promesse de pas mal de passages télé, et ça c’est bon pour l’opinion.
C’est par un papier (refusé ailleurs) sur Hallyday qu’est né ce blog. Qui collectionne bien d’autres articles sur notre héros national. C’est ici.
Gérard Pierron : « Quand on chante Couté… »
Au chapitre des célébrations de l’année 2011, il en est une qui concerne tant la poésie que la chanson : le centenaire de la disparition de Gaston Couté. Toute cette année, sur NosEnchanteurs, nous reviendrons régulièrement sur ce poète paysan, cet anarchiste qui ne hante pas, loin s’en faut, nos belles anthologies de poésies. Pas plus qu’il ne semble hanter ces fameuses célébrations du Ministère de la Culture. Si tant de plumes viennent de s’enflammer sur la présence pour le moins controversée de Louis-Ferdinand Céline, aucun de mes confrères ne semble avoir remarqué l’absence significative de Gaston Couté dans le Catalogue des commémorations officielles de la République. Anar jusqu’au bout des doigts, Couté aura réussit même son centenaire : sans tambours ni médaille… libre !
Le texte qui suit est extrait de la préface du livre Gaston Couté, le temps d’amour à paraître en février chez Piqu&colégraphe. En fait un choix de textes (avec partitions et disque « Le discours du traîneux » joint) fait par le chanteur Gérard Pierron, grand amateur de Couté s’il en est. C’est d’ailleurs Pierron qui signe cette préface
« Quand on dit, quand on chante un auteur de cette trempe, est-ce que l’on se bonifie avec le temps, est-ce que l’on prend des défauts ? Une oeuvre d’un tel tonneau peut-elle être toujours mieux dite ? Son interprète ne connaîtra ni l’ennui, ni la lassitude. Il s’agit là d’un grand classique, véritable trésor littéraire mal connu, voire non reconnu.
Lisez-le à voix haute, il vient du parler populaire et paysan. Que ces écrits, grâce à vous, retrouvent la parole. Vous en saisirez toutes les saveurs, les parfums et les nuances. Vos racines, votre mémoire cogneront à votre porte, c’était hier et c’est aujourd’hui. Que vous soyez de Bourgogne, du Midi, du Québec, dîtes Gaston Couté avec votre accent. Si cela chiffonne certains intégristes patoisants, et il y en a, ça n’est pas grave. Riez-en, mettez-y du cœur, tout simplement.
La musique de ses vers porte ses images comme le souffle du vent envole son chapeau… Posez-vous sur l’épaule de ce bourru de paille et chantez-le comme le ferait un oiseau. Cet pouvantail-là ne porte pas l’habit vert, son épée est un soc de charrue. Immortel, il règne sur les champs de blé à perte de vue.
Ô villages sans emploi
Sans boulanger
Battus par des vagues d’or
Comme des îles perdues
Dans les moissons…
Aucune machine agricole, aussi moderne qu’elle soit, ne pourra rien contre lui. Aucun de ces monstres à tout faire, shootés par une radio diffusant une fausse énergie, ne pourra clouer le bec de cet épouvantail accueillant aux oiseaux, qui marche inlassablement, chaussé des godillots de Van Gogh à qui il ressemble le plus. Qui marche, qui marche sur ce qu’il reste des chemins qui ne sont pas encore mangés. Qui marche, traînant avec lui sa horde de peineux, de trimardeux, de galvaudeux, ses filles engrossées, son p’tit porcher, sa Françouèse et son gros Charlot de cœur. » GÉRARD PIERRON
Gaston Couté, le discours du traîneux, avec Gérard Pierron, Hélène Maurice et Bernard Meulien, le 13 février à La Bouche d’air, salle Paul-Fort, à Nantes ; et du 24 au 27 février 2011, à L’Européen, à Paris.
2011, l’année Gaston Couté
Voici donc 2011, sans doute semblable à la précédente quant aux probables catastrophes climatiques et sociales que seul l’ultra-libéralisme sait aussi bien mettre en scène. Nous la vivrons avec agacement dans l’attente de 2012 et de ses urnes fiévreuses. Au chapitre des coups tordus à venir, il nous faudra d’abord supporter un nouvel album de Carla Bruni, forcément magnifique, qui à lui seul résoudra la crise du disque. Le reste de la chanson – la vraie – vivra sa vie underground bien à l’abri des médias. NosEnchanteurs s’en fera fidèlement l’écho.
2011 est, le savez-vous, l’année du centenaire de la mort du poète paysan et anarchiste Gaston Couté, un de la Beauce qui s’en est allé vivre sa vie d’artiste dans les bouges parisiens, un qui n’a cependant pas connu la Star Ac’ et n’aurait sans doute pas été invité par Drucker ni par Nagui si Sainte-télé était alors née. Pour débuter l’année, voici un poème de Couté, La Complainte des trois roses (merveilleusement musiqué par l’ami Gérard Pierron). Quitte à le célébrer, fasse que Gaston Couté soit souvent là cette année et, par lui, un peu de ce bon sens qui lui fut quotidien : ça ferait du bien.
Complainte des trois roses
Ah ! quand j’avais vingt ans sounnés,
Ah ! quand j’avais vingt ans sounnés,
Margot s’en allait vouér ses boeufs
Avec eun’ ros’ roug’ dans les ch’veux
A’ m’ l’a dounné
Viv’nt les fill’s dont j’ suis l’amoureux !
J’ai eun’ rose, et j’en aurai deux !
Paf ! quand qu’ j’étais cor’ ben rablé,
Paf ! quand qu’ j’étais cor’ ben rablé,
J’ai vu la garce au pér’ Françoué’s
Qu’avait eun’ ros’ blanch’ dans les doué’ts
Et j’y a’ volée !
Viv’nt les fill’s qui s’ fleuriss’nt pour moué !
J’ai deux ros’s, et j’en aurai troués !
Bah ! quand j’sés dev’nu ben renté,
Bah ! quand j’sés dev’nu ben renté,
Catin est v’nu m’ chatouiller l’ nez
Avec eun’ rose au coeur fané !
Et j’ la ach’tée !
Viv’nt les fill’s qui vend’nt ces ros’s-là !
J’ai troués ros’s, mais j’en veux pus qu’ça
Las ! me v’là vieux, me v’là ruiné,
Las ! me v’là vieux, me v’là ruiné,
Y a pus d’ ros’s roug’s à l’âge que j’ai
Des blanches ? Foli ! Faut pus songer
Mém’ aux fanées
Viv’nt les fill’s qui m’aimeront pus !
Moué, j’ai troués ros’s et j’meurs dessus
Gaston Coûté 1880 – 1911
Pour en savoir beaucoup plus sur Couté, on va sur le site Gaston-Couté
Gaston Couté, rue de l’éternité
On célèbrera, en juin de l’an prochain, le centième anniversaire de la mort de Gaston Couté, cet anarchiste venu de Beauce hanter les lieux mal famés de la Capitale, ses bouges comme ses cabarets. Si certains poètes, au lendemain de leur dernier souffle, se sont vite réfugiés dans les anthologies qui de prose qui de vers qui des deux, lui est resté à la porte de la facile renommée. Le purgatoire de la poésie pour lui et ses vers mal décrottés, paysans, patoisants, pas même en vrai français de comme on cause dans les salons littéraires. Psstt ! un poète du peuple, un révolutionnaire, un Gavroche de la rime ! Petit à petit, comme les cailloux dans la terre, le talent remonte, germe et fleurit. Des gens redécouvrent Gaston Couté. Que du reste les sociétés anarchistes n’avaient pas vraiment oublié. Des artistes se sont mis Couté en bouche. Des diseurs. Même des chanteurs, Piaf en tête. A la fin des années soixante, Couté était comme passage obligé pour les chanteurs rimailleurs autour de la place de la Contrescarpe, quartier Mouffetard. Lavilliers en a même gardé des textes qu’il dit encore parfois sur scène. Années soixante-dix, les éditions Le Vent du ch’min éditent tout Couté pendant que Bernard Meulien et Gérard Pierron font miel de Couté. Eux puis des tas d’artistes comme Marc Robine, Monique Morelli, Bruno Daraquy, Claude Antonini, Le P’tit crème, Loïc Lantoine, Laurent Berger, Gabriel Yacoub, Rémo Gary et bien d’autres encore. Couté est l’émotion même. Cent ans après, ses textes gardent en eux la même fraîcheur, l’honnêteté de mots pas négociés, toujours d’une ardente actualité. Certes, il y a encore du chemin à faire pour qu’on cite Couté comme on dirait du Baudelaire ou de l’Hugo. Ça vient…
Mais pas à la Générale des eaux, semble-t-il. Témoin cette missive expédiée en septembre 2009 à Monsieur Gaston Couté, 55 rue de l’éternité (sic), 42000 Saint-Étienne : « Vous n’êtes plus couvert pour les urgences sur votre canalisation d’eau ! » Gaston Couté siégeant rue de l’éternité, ça fait plaisir à dire et c’est prémonitoire. Quant à l’eau, sans être tout à fait historien, il me semble que n’est sans doute pas ce liquide-là qui a coûté la vie à Couté, mais le mauvais vin, l’absinthe, la tuberculose et une vie dissolue…
Un site sur Gaston Couté…
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