Avalon, savourons
Prélever au répertoire quelques de ses perles et baptiser son disque Service public a quelque chose de savoureux dans l’esprit. Car, mises à part les thématiques de Philippe Meyer sur ce dit service public, on n’y entend pas trop ce genre de chansons. Michel Avalon reprend donc Gilbert Laffaille, Georges Brassens, Henri Tachan, Allain Leprest et Léo Ferré (pour chacun deux titres) ainsi que Julos Beaucarne, Bernard Joyet et Jacques Prévert. Et, quitte à faire, Michel Avalon par deux autres titres (Amis et Le tango de Palavas-les-flots). L’enregistrement est public, Avalon est à la guitare et son compère et complice Claude Delrieu à l’accordéon, dont le soufflet donne le la et prédomine avec superbe.
Rien que pour la plaisir d’imprimer un de ses écrits sur cette page virtuelle qu’est NosEnchanteurs, je laisse la parole à mon estimé confrère Jacques Vassal : « Michel Avalon vous capte, d’abord par sa voix, grave, chaude et singulière. On s’y habitue, puis on l’aime. La confidence s’impose et la confiance s’installe. D’autant que le répertoire (Ferré, Tachan, Laffaille, Brassens et… Avalon lui même) est de belle facture. Une vraie présence en public. » La voix d’Avalon fait rugueuse, bourrue. Et tout autant conviviale. Elle a comme la chaleur d’un feu de bois d’hêtre, le bonheur de l’être, sans fioriture aucune, qui va simplement à l’essentiel, servant avec grand respect des textes d’anthologie.
Michel Avalon, Service public, 2011, Exil prod/E2M audio production. Le site de Michel Avalon, c’est ici. Signalons que Claude Delrieu est aussi le fou chantant poly-instrumentiste de la Reine des Aveugles à qui NosEnchanteurs a consacré un de ces récents articles (lire ici).
Abonnez-vous à ce blog : vous recevrez en temps réel la notification de tout nouvel article sur NosEnchanteurs. Cliquez en haut à droite de cette page-écran : c’est facile, c’est sympa, c’est gratuit.
Tachan, sans se retourner…
Ne se sentant pas le destin de Molière, Henri Tachan a raccroché les gants depuis trois ans : plus jamais il ne postillonnera en scène, éructant comme ce lion qu’il y fut. Chantal Bou-Hanna, une lectrice de NosEnchanteurs, nous fait parvenir cet article qu’elle a rédigé, au soir des adieux de Tachan, le lundi 2 décembre 2008 à Besançon.
Le Petit Kursaal, à Besançon. C’est présentation de la saison Chanson. Et concert gratuit. Pas assez de places ce soir, un monde fou. Que se passe-t’il donc pour attirer ainsi les foules bisontines ? De belles pointures : Messieurs Henri Tachan et Yves Jamait. Et Sarcloret et d’autres encore.
Coulisses. Parrain de la saison, Jamait est arrivé depuis pas mal de temps déjà. Casquette bien rivée et cigarette au bec, il répète, discute, rigole.
Manteau noir, col relevé, un p’tit bonhomme finit par arriver, courbé, l’air fatigué… Aucune ressemblance, ou si peu, avec ce qu’il est en scène. Lui, c’est Tachan ! Thérèse, l’une des organisatrices, l’accueille : ils s’embrassent chaleureusement. Henri tire de son paquet une cigarette, la seconde de la journée dit-il. Mais où fumer ici ? « Théâtre non fumeur » c’est mis sur l’écriteau. Dans les loges ? Pas possible non plus. Ils s’en vont. Thérèse me dit « Viens avec nous », avec un clin d’œil amical et complice : elle sait que je veux à tout prix prendre des photos d’Henri. Pour fumer ce sera le réfectoire. Et Tachan est ok pour les photos ! Je jubile !
Une question me brûle les lèvres. Si je ne la pose pas tout de suite, l’occasion ne se reproduira plus.
– « Vous arrêtez les concerts ? »
– « Oui, c’est terminé ! »
– « Plus jamais ? Mais, ce soir, vous allez bien faire une chanson ou deux ? » Je restais pleine d’espoir.
– « Non, quand je dis non, c’est non ; vous aurez le DVD »
– « Mais c’est pas pareil. Sur scène, en chair et en os, c’est autre chose… »
– « Ah ! non, je n’ai pas envie de mourir sur scène »
Et la discussion s’arrête là. Tachan sur scène c’est définitivement fini ! Qu’on se le dise !
Se déroulent ensuite, dans la salle comble du Petit Kursaal, le visionnage de son DVD réalisé l’an dernier et ses « adieux à la scène » officiels :
Tachan, chemise orange, gros pull bordeaux, manteau noir, est au premier rang, à l’extrémité de la rangée. C’est drôle, il est dans la salle, mais pas du bon côté, pas de son côté : il nous a rejoint et est devenu spectateur ! Tachan dans le public, dans Son public ! Il se regarde. Les z’hommes, Le chat de Micky, L’amour et l’amitié, Un piano, La pipe à Pépé… Et le public de ce soir chante, applaudit en même temps que le public du DVD. Je suis à deux rangs derrière lui, un peu décalée, et l’observe. Au lieu de regarder l’écran, je regarde Henri. Qui chante toutes ses chansons, tout doucement dans l’obscurité, incognito… Et moi avec cette envie de lui crier « Henri, vas-y chante pour nous, en vrai, une dernière fois ! » La pudeur est là, qui m’en empêche…
Etrange situation vraiment, Henri est avec nous dans la salle alors qu’on l’applaudit en cette « mis en boîte », sorte d’hommage au Tachan toujours vivant mais perdu pour la scène. Après la projection, la lumière se rallume. Affalé dans son fauteuil, on ne voit plus de Tachan que le haut de son crâne un peu nu qui dépasse du siège. Il se lève, lentement, au ralenti. Il ne veut pas monter sur scène, non, et reste devant nous, prend le micro qu’on lui tend, et nous explique que c’est fini ! De mémoire, il a dit : « Ça fait quarante ans que je chante, Brel avait dit une fois que même s’il lisait le bottin sur scène, son public l’applaudirait. Alors il a décidé d’arrêter. Moi j’avais dit que quand je m’ennuierai sur scène – je ne m’ennuie pas avec vous, non pas avec vous – j’arrêterais. C’est arrivé, alors j’arrête. Place aux jeunes. J’ai fait ce DVD, ça laisse une trace aux miens, à ma femme, à mes enfants, à ceux que j’aime, etc. » L’émotion est à son comble, le silence absolu. Les larmes perlent qu’il est vain de retenir. Puis Tachan reprend vite son gros pull et son manteau posés en boule sur son fauteuil du premier rang. Submergé d’émotion, sans se retourner, il remonte les marches du Petit Kursaal, en franchit les deux portes battantes qui se referment derrière lui. C’en est fini.
Merci Henri pour ces quarante années de chanson, tes coups de gueule, tes coups de coeur, tes coups d’âmes. Merci de Toi.
Chantal Bou-Hanna.
Sur NosEnchanteurs, on lira aussi « Ah, Tachan ! »
Ah, Tachan !
C’est peu dire qu’à la tâche il débitait le Tachan, tirant à vue sur tout ce qui bouge. Agé, fatigué, le chanteur s’est retiré de la scène après « plus de quarante ans de bons, loyaux et exaltants services. » Son ultime concert a été filmé (comme quoi tout peut arriver un jour…) et sortira prochainement en dévédé, « témoignage de son aventure de saltimbanque ». Ce papier, compte-rendu d’émotions captées à la Salle Jeanne-d’Arc, à Saint-Étienne, a une dizaine d’années, une paille dans l’histoire de l’humanité. Humanité, que le mot va bien à Tachan…
Archive. « Je suis v’nu / J’ai vu / J’suis vaincu / Y’avait pas un chat dans la rue. » Et pour cause. Surprise autant que satisfaction, z’étaient tous à Jeanne-d’Arc, pour y fêter l’amour et l’amitié avec Henri Tachan. Qu’on avait pu oublier vu qu’il n’est jamais sur radios et télés, vu que ça fait il y a longtemps… Mais le public est revenu comme si l’auteur-interprète des Z’hommes nous était, vieux lion de l’arène chanson, toujours indispensable, plus même. Comme un doux refuge, une fontaine d’eau pure où l’on peut encore s’abreuver, un interdit qu’on peut encore s’autoriser. Tachan vient de nous faire anthologie. Pas un best-of, ni « l’essentiel de », ni le tout en un. Non, mais c’était tout Tachan quand même, sa vie et sa révolte qu’il éructe encore et toujours. Le temps est impuissant sur ce que chante Tachan, même si le chanteur trimbale nombre de ses textes depuis vingt, trente ans même. Rien n’est plus actuel que ce chant-là, noble, inspiré, généreux. Un qui ne triche pas, qui vomit bile et bouffe curé, fustige chasse, cette « guéguerre permise aux hommes en temps de paix », et cible connerie. Ça bâtit et entretient une carrière : c’est inusable, indémodable. Des chansons polies par le temps ? Euh… polies… pas tout à fait vraiment. Ni le temps ni le vent ne pourront en lustrer l’émeri, le râpeux, l’anguleux, l’honnête et le sincère. Regardez-le bien en face, le Tachan : s’il est tout courbé, il n’en est pas moins la droiture faite homme qui, bras ballants comme une simiesque silhouette, s’attaque vaillamment aux z’hommes. Tachan n’a pas d’âge ; sa chanson en a-t-elle ? Il vous plante ses orbites dans les vôtres et vous chante ce qu’est le genre humain, dans toutes ses faiblesses (La Pipe à Pépé en est-elle une ?), des horreurs petites et grandes (Telle est la télé, comme la guerre…), ses instants de pur bonheur aussi, Entre l’amour et l’amitié, là où « il n’y a qu’un lit de différence. » « Je ne veux pas vieillir / Je ne veux pas mourir / Je veux avoir le temps d’être ni vieux ni sage. » A-t-il la sagesse, Tachan, qu’on prête, sans se la voir rendre, à ses aînés ? Sa sagesse à lui, c’est peut-être de ne pas s’assagir, de rugir encore, de nous faire rougir toujours. Tant que Tachan sera à la tâche, tout ira pour le mieux.
Le myspace d’Henri Tachan.